Sur les anciennes pistes militaires en 1969/72 - Piste militaire du fort du Chaberton (ou piste de Val Morino) par Fenils

Pour moi, « LA » route militaire des Alpes, un mythe incomparable !

La « Strada militare dello Chaberton » (ou di Val Morino) est la plus haute route militaire des Alpes. Son tracé dû au génie militaire italien remonte aux années 1896-1898 avec d’importantes améliorations apportées en 1905. Cette route permettait de relier le fond de la vallée de la Dora Riparia au Fort du Chaberton (Batteria dello Chaberton) construit au sommet du Mont Chaberton (3131 m.). Ce n’est qu’en juin 1945 que le fort a été désarmé et que la route a donc perdu son intérêt stratégique. L’histoire de cette route est donc très semblable à celle du Fort Jafferau (2775 m.) construite à partir de 1886.

Autre point commun entre les routes du Chaberton et du Jafferau, c’est qu’au niveau de la construction, le tracé présente dans les 2 cas un passage très difficile sur le plan technique. Pour le Jafferau, c’est la traversée du vallon de Seguret particulièrement exposée et dangereuse qui fait qu’après de multiples effondrements, l’armée a construit en 1925 un tunnel, la Galleria Seguret (ou dei Saraceni) pour éviter ce mauvais pas. Au Chaberton, c’est le redoutable passage de la Roccia Tagliata (Roche Taillée) pour permettre à la route de contourner un éperon rocheux. La pente raide sur laquelle est tracée la route dans ce secteur est très exposée aux chutes de pierre et aux effondrements. Et là, pas de tunnel possible !

Grosse différence en revanche, c’est que la route militaire du Jafferau est assez facile vu que la pente y est modérée et la piste suffisamment large alors que celle du Chaberton est très pentue et plus étroite.

La route militaire du Chaberton se détache de la SS 24 qui remonte la vallée de la Dora Riparia entre Oulx et Cesana Torinese, à 1254 m. d’altitude. Il va donc y avoir près de 1900 mètres de dénivelé pour parvenir au sommet ! On atteint très vite le petit village de Fenils (1293 m.) à partir duquel la route n’est pas revêtue. On monte facilement par une piste roulante aux Granges de Pra Claud (1595 m.) à partir desquelles le trafic motorisé est interdit depuis une trentaine d’années.

Mais ce n'était pas le cas au début des années 1970 ! Entre 1969 et 1972, (permis de conduire à peine en poche !), avec 2 copains dont un local de Bardonecchia, nous avons essayé plusieurs fois de monter le plus haut possible sur cette route. On n’avait pas de 4x4 et on montait avec une Fiat 124 Special rehaussée (autour de 20/21 cm de garde au sol), une vieille Opel Kadett elle-aussi rehaussée et une Citroën Mehari ! Avec le recul, je me dis que si on avait eu un Jimny … !!!

Depuis les granges de Pra Claud, la montée se poursuit par une série d’une dizaine de lacets pour franchir le vallon du Rio dell’Inferno (1969 m.). Et lors d'une de nos 4 ou 5 tentatives, en 1970, c’est au passage de ce vallon qu’on était déjà planté !!! J'en profite pour signaler que c'est de nouveau le cas en 2020 mais que ce coup-ci le torrent a fait de tels dégâts qu'on ne peut plus passer ni en enduro comme certains le faisaient encore ces dernières années malgré l'interdiction, ni en VTT, ni même à pied d'ailleurs ! Espérons que des travaux soient entrepris pour permettre de nouveau le passage.

Plus haut, après la Grange Quagliet (2060 m.), les choses se compliquent ! La piste devient plus étroite et une nouvelle série de plus d’une douzaine d’épingles sur un versant bien ensoleillé permet de se rapprocher du passage clé de Roccia Tagliata (2350 m.), la Roche Taillée. Là, il fallait souvent travailler dur pour dégager la route de grosses pierres récemment tombées. A l’époque, on emportait des barres à mine ! En 1969, elles n'avaient pas suffi d'ailleurs et on avait dû faire demi-tour à ce niveau ! Au début des années 80, une partie de la piste bordant l'à pic s'étant effondrée, on avait installé des plaques métalliques et des planches en bois qui permettaient aux 4x4 de passer à ras du vide ! Sueurs froides garanties ! Aujourd’hui, en 2020, même si la route n’était pas interdite, aucun 4x4 au monde ne pourrait passer puisqu’en certains endroits particulièrement effondrés, la largeur de l’ancienne route militaire ne dépasse pas celle d’un sentier étroit extrêmement dangereux puisque bordant un à-pic.

Après ce passage rocheux, tout change. D’abord, on se retrouve en France depuis les rectifications de frontière de 1947. La route militaire traverse alors le Plan des Morts (2417 m.) et monte au Col du Chaberton (2674 m.) par une série de plus de 20 lacets tracés sur le versant nord-est du col. Cette partie, lors de nos montées, était terrible ! On ne comprenait pas que la route en lacets qui montait déjà sec soit coupée de raccourcis carrossables encore plus pentus. Et parfois, il fallait emprunter ces raccourcis qui étaient en meilleur état que les lacets. En fait, des anciens de Fenils nous ont expliqué que ces raccourcis correspondent à la vraie route militaire d’origine et qu’en 1905, la route en lacets plus larges et moins pentus avait remplacé l’ancienne pour rendre la montée plus accessible. En tout cas, ça monte dur, probablement autour de 20 % en plusieurs endroits.

Une fois le Col du Chaberton (2674 m.) atteint, la route militaire passe près des casernements du « Ricovero alto » (Refuge supérieur) (2725 m.). C’est le point le plus haut qu’on ait pu atteindre en 1972 après des heures de travail, l’éclaireur à pied, l’auto qui suit !!! Un chantier de fou !

Ensuite, la piste gravit en lacets le versant nord-ouest du Mont Chaberton, passe à côté de vieux baraquements militaires (3040 m.) et atteint le sommet (3131 m.) en léger contrebas duquel était édifiée la Batterie du Chaberton. Cette dernière partie de la route du Chaberton est très pentue (18 % de moyenne entre le Col et le sommet).
Sur un forum de randonnées à pied et en VTT, j’ai lu qu’un randonneur au début des années 80, a trouvé 2 jeunes Allemands en Ford Taunus, il me semble, équipés d’éléments métalliques de franchissement, qui auraient atteint les 2900 m. !!! Chapeau ! Ceux-là, ils auront été meilleurs que nous !

Comme on n'avait pas pu atteindre le sommet, j'avais demandé alors à un ami italien en vacances à Oulx s'il pouvait tester la fin de la piste avec son Toyota 4x4. Il l'a fait mais en 2 temps ! La 1ère fois, il nous a dit avoir trouvé incroyable qu'on ait pu arriver à plus de 2700 mètres avec nos pauvres autos (ce qui nous a donné une certaine fierté du boulot accompli !!!), mais il n'est pas parvenu au sommet car il estimait la fin trop dangereuse en étant seul. Il faut savoir en effet que dans la dernière partie, certaines épingles étaient tellement serrées et la piste tellement étroite qu'on ne pouvait tourner en manoeuvrant. Il fallait donc faire en marche arrière certains trajets reliant une épingle à la suivante sur une piste qui faisait 1m.80 de large et dans des pentes à près de 20% !!! Et idem en redescendant ! Notre ami est donc revenu une seconde fois avec du renfort et il nous a confirmé que ça passait donc jusqu'au sommet.

Au début des années 80, ça passait encore en 4x4 au prix de sérieux risques au niveau de la Roccia Tagliata ! Les derniers à être montés l'ont probablement fait vers 1986. Ensuite, ce sont les enduros qui se sont régalés malgré l'interdiction et le double risque de se prendre une grosse amende puisque le bas de la piste est en Italie et le haut en France ! Mais depuis quelques années, même eux ne peuvent plus franchir la Roccia Tagliata de plus en plus réduite en largeur au fil du temps.

C'est navrant de voir ces pistes légendaires disparaître peu à peu par abandon. Resteront toujours les beaux souvenirs d'antan !